"...j’ai besoin d’humour pour mettre l’horreur à distance et il n’y en a pas forcément dans les polars que j’aime lire."
Evelyne Judrin
INTERVIEW DE L'AUTEURE EVELYNE JUDRIN
Bonjour Evelyne Judrin, merci d'avoir accepté cette interview pour Bazar Bouquins. Vous avez déjà écrit deux romans policiers et vous venez d'en sortir un nouveau dont nous parlerons plus bas. Evelyne Judrin, qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'enseigner les lettres?
En ce qui concerne l’enseignement des lettres, si j’étais d’humeur taquine, je dirais bien que c’était la seule matière dans laquelle je me sentais comme un poisson dans l’eau. Et à l’époque quand on faisait des études de lettres, hors l’enseignement, point de salut.
Qui vous a donné l'envie de lire? Car vous devez lire beaucoup, je présume ? Et qui vous a donné cette passion d'écrire ?
Alors là sans hésiter ma mère. Etant issue d’une famille d’immigrés, la langue pour elle était d’une importance capitale. Elle la maîtrisait parfaitement, dévorait des tonnes de livres et écrivait pour elle-même des poèmes. Elle avait une très belle plume. Dès mon plus jeune âge j’ai été encouragée à lire et à écrire.
Quels sont les principaux écrivains qui vous touchent le plus et pourquoi?
Il y a deux sortes d’écrivains : ceux dont les écrits me passionnent, généralement des auteurs de romans policiers, qui savent suspendre le temps qui vous coupent littéralement le souffle et vous empêchent de dormir. Je n’en citerai aucun car il y en a trop.
Par contre il y a ceux qui me touchent parce que les sujets abordés font écho à la problématique qui m’habite depuis toujours : celle de l’appartenance.
Je citerai : Singer, Chaïm Potok, Aaron Appelfeld
Mais j’adore aussi l’écriture de Lionel Duroy de Murakami,
J’aime Douglas Kennedy pour son talent de conteur et aussi la scandinave Audur Olafsdottir pour son style tellement épuré.
Et tant d’autres.
Chaïm Potok
Crédit photo:RICHARD HARRIES
Est-ce qu'il vous arrive de lire un polar et soudain vous dire, j'aurais bien écrit ce livre?
A la réflexion non. Je peux envier le sens du suspens, une écriture particulièrement précise et soignée, le sens du détail de tel ou tel écrivain mais en même temps, je suis incapable d’écrire autrement : j’ai besoin d’humour pour mettre l’horreur à distance et il n’y en a pas forcément dans les polars que j’aime lire.
Pour écrire un polar, un roman quel que soit le genre, cela demande quand même beaucoup de connaissances. Comment est-ce que vous vous documentez ?
Rien de très original : je vais sur le net, je lis des bouquins, j’interroge des hommes et des femmes de l’art (flics, pharmaciens, médecins) et surtout je prête l’oreille. Je suis une curieuse maladive.
Lorsque vous avez trouvé une idée pour un roman, est-ce que vous les enregistrez d'abord comme le fait Bloom ?
J’ai des bouts de notes partout. Des morceaux de carnets, de cahiers, des notes vocales sur mon téléphone, morceaux de papier avec quelques phrases que je n’arrive plus à déchiffrer la plupart du temps.
Dans les deux romans que j'ai pu lire: "Il faut bien que la foudre tombe quelque part" et "Sale temps pour les concierges", vous décrivez beaucoup les lieux, le temps, le contexte... est-ce très important?
Absolument. J’ai besoin de m’immerger et de m’imaginer dans les lieux que je décris donc de les connaître parfaitement. Je me balade d’ailleurs régulièrement dans le Paris de Blum et je prends des photos pour me remémorer tel ou tel détail.
Pourquoi êtes-vous votre propre éditrice?
Le moyen de faire autrement ? Et puis finalement ça me convient très bien pour l’instant. Je fais des rencontres que je ne ferais sans doute pas si j’étais chapeautée par un éditeur.
Vos deux romans policiers sont très beaux et très agréables à lire. De plus les couvertures sont superbes. Tenez-vous à l'aspect du livre? Considérez-vous que la jaquette est partie intégrante du roman?
Oui absolument. J’aime le livre en tant qu’objet. La couverture doit refléter l’esprit du roman.
Qui a dessiné les couvertures?
J’ai la chance de bien connaître Cre.o.n, l’artiste qui m’a fait l’honneur de réaliser mes couvertures. J’adore son travail entre comics et manga. Il sera d’ailleurs au COMICON de Paris fin octobre.
Cre.o.n
Concernant les titres, nous lisons dans l'histoire le titre du roman policier. Prendrez-vous chaque fois une phrase dite par le héros comme titre?
Je vois que vous êtes un lecteur attentif. J’aime bien me donner des contraintes. Celle-là en est une mais je ne suis pas certaine d’y arriver à chaque fois.
Nous n'allons pas raconter l'histoire de chaque roman, nous allons plutôt encourager le lecteur à les acheter et les lire, ils vont passer un bon moment avec ce qui se rapproche férocement d'un thriller, en tous les cas pour le premier. Donc pas de spoilers. "Vos polars sont proches du thriller", êtes vous d'accord avec cette affirmation?
Je ne sais pas. J’ai un peu de mal à définir mon genre. S’il y a du thriller dans mes romans j’en suis ravie. Mais il y a aussi de la tragédie et de la comédie, enfin je pense.
Passons à quelques personnages et ne soyez pas effrayée par mes questions, il n'y a pas de censures chez Bazar Bouquins, dans le sens qu'on aborde tous les sujets. Parlons un peu de Léon Blum. Pourquoi avez-vous choisi ce nom?
C’est à posteriori que je me suis aperçue que j’avais raccourci le nom d’une amie et que j’avais emprunté le prénom de sa belle-fille pour mon personnage de Malika.
Pour le prénom de Blum, Léon, je me suis dit que c’était un clin d’œil amusant
Qui vous a inspiré pour ce genre de personnage ?
Tous les personnages de flics un peu nonchalants que j’ai pu rencontrer au cours de mes lectures : un peu de Nestor Burma sans doute et aussi l’Adamsberg de Fred Vargas.
Jean-Luc Anglad joue le commissaire Adamsberg
Va-t-il y avoir beaucoup d'aventures de Léon Blum?
Je l’espère. Je suis en pleine écriture du prochain.
Pourquoi Blum est-il juif, fils de parents juifs socialistes?
Je parle de ce que je connais je vous l’ai dit pour les lieux c’est idem pour les personnages. J’ai passé toute mon enfance dans le Paris populaire de Blum. J’ai côtoyé le petit peuple parisien d’ouvriers, d’artisans. Après la guerre, les gens rêvaient d’un monde meilleur. Il y a une tradition juive socialiste Le Bund, un mouvement qui a pris naissance en Europe de l’Est. J’ai sans doute baigné dans ce milieu.
16. Vous semblez connaître le judaïsme et que les athées communistes juifs sont nombreux. D'après-vous, le communisme en France est-il semblable à celui qui sévissait dans les pays de l'Est?
Je ne connais pas le judaïsme. Justement c’est la problématique de mon personnage. Il se sent juif mais il ne pratique pas et a du mal à mettre des mots sur sa judéité.
Quant au nombre de juifs athées je n’en ai aucune idée mais je pense qu’ils sont assez nombreux à être attachés aux racines. Pour ces juifs, la culture ne passe pas forcément par la religion. Il y a le yiddish, cette langue issue du haut allemand, l’histoire (souvent tragique) certaines traditions, la littérature, les débats d’idées.
Quant au communisme tel que je l’ai connu dans ma jeunesse, il n’avait rien à voir avec celui des pays de l’Est parce que justement nous étions en France et qu’il n’était pas au pouvoir mais sans doute les communistes français ont-ils fait preuve d’aveuglement face au grand frère russe.
Savez-vous que les Juifs ne disent pas le "bon Dieu"? A moins que je ne me trompe.
Aucune idée
Est-ce que vous n'appréciez pas les nobles? Je pense à Thérèse Chastaing de la Tour.
Ma Thérèse est une noble d’opérette. Je n’ai pas d’opinion sur les nobles.
La vision négative de notre société qu'a Blum est-elle la vôtre ?
Je suis double. En même temps j’ai toujours la crainte de voir resurgir les démons du passé et en même temps je pense que l’être humain est capable du pire mais aussi du meilleur.
Vos personnages, à part les principaux, ne sont pas très sympathiques, avez-vous une vision aussi "négative" des personnes ?
Je ne suis pas d’accord. Bien sûr il y a les méchants et forcément ils ne sont pas sympathiques mais je pense à toute la tribu qui entoure Blum et ceux-là je les trouve bienveillants.
Qui vous a inspiré le personnage de Malika? Pourquoi est-elle musulmane et tout-à-fait à l'opposé des musulmanes voilées ?
Je vous l’ai dit, c’est la belle fille d’une de mes amies. Et mon personnage est comme les musulmanes que je connais c’est-à-dire des femmes non conformistes, des femmes libres.
Avez-vous lu le livre de Henda Ayari: "J'ai choisi d'être libre"?
Pas encore. Vous me le conseillez ?
Oui absolument.
Le fait que Blum et Malika vivent ensemble, est-ce un message particulier que vous voudriez faire passer?
Absolument
La même chose pour les homosexuels que nous rencontrons dans les deux polars, ainsi qu'un transformiste et une trans ?
Oui également. Le monde dans sa diversité est celui que j’aime et qu’il me plaît de faire vivre dans mes romans.
Une question bizarre parce que "je vous tiens à ma merci", Evelyne Judrin: cela me trotte dans la tête depuis des années en lisant ou regardant des polars? Verriez-vous possible un héros catholique, marié et qui soit droit dans sa vie ?
Je suis moi-même mariée à un catholique droit dans sa vie. Est-ce une réponse ?
Oui, on ne peut pas répondre mieux.
Quelque chose m'a fortement surpris. Vous avez donné, à un de vos personnages, un abbé, le nom Bourreau. Pourquoi? Vous n'appréciez pas l'Eglise Catholique (rire)? Répondez en totale liberté, j'assume tout.
En fait cet homme a existé. C’était le grand copain de mon père petit cordonnier dans le 11ème arrondissement. Je n’ai pas osé donner son vrai nom qui était encore plus incroyable que celui de Bourreau. D’ailleurs j’ai connu un monsieur Bourreau qui était un super médecin.
"Il n'y a rien de contre nature à préférer les hommes", dit, à quelque part, la maman de Julien. Est votre avis ou celle de la maman de Julien?
Je ne crois pas que ce soit la mère de julien qui dise cela. Mais moi je pourrais le dire. D’ailleurs je le dis. Voilà !
Revenons à Blum. Léon Blum, ancien commissaire, est un homme très "intègre". Mais en tant que chroniqueur, il enjolive voir invente pour des journaux peu scrupuleux. C'est bien cela ? Est-ce que vous pensez qu'il existe deux presses, une qui dit des vérités et l'autre des menteries?
Ce qu’on appelle la presse à scandale existe toujours. Quant à la presse en général, je pense qu’on peut s’informer en croisant les informations. Disons qu’il y a sûrement une presse qui creuse davantage qu’une autre.
Vous ne cessez de nous surprendre dans vos romans policiers, passant d'un personnage à l'autre, prolongeant une scène, détaillant les personnages dans les moindres détails (sauf que j'aurais bien aimé savoir comment les deux motards étaient vêtus, car j'aime la moto. Je n'en dis pas plus sur ces deux personnages, eh eh) et ce qui m'a frappé en lisant c'est que votre récit n'est pas linéaire, mais est fait du présent, et du passé. Un passé qui, au demeurant, n'explique pas tout, et n'excuse rien, même s'il était très douloureux? (Ça va Evelyne Judrin êtes-vous encore en vie, où aurais-je commis le meurtre parfait avec ce genre de question ? (Rire)
Nous sommes faits ainsi. Le passé ne peut pas se changer. Alors il faut l’assumer et le sublimer si possible. J’essaie de le faire en écrivant.
Question un peu marrante: Savez-vous que les bottes comme les santiags, vous êtes comme dans des pantoufles, idem pour les mexicaines au talon scié? Dans ces bottes pointues, vous n'êtes jamais mal à l'aise, il faut, pour les Mexicaines prendre la taille au-dessus. Si vous achetez des bottes western dans des magasins non spécialisés, vous avez mal au pied comme dans des chaussures pas chères.
Je note. Merci
Il y aurait encore tellement de questions, tant vos écrits sont riches. Je ne peux franchement, vous comparer à aucun écrivain que j'ai eu le plaisir de lire, est-ce normal?
A vous de me le dire. Si tel est le cas, j’en suis très flattée.
Oui, c'est le cas.
Vous me faîtes penser, non par le style d'écriture, à Sire Cédric: le climat tendu, sombre, surtout dans le premier de vos polars.
Qu'en pensez-vous?
Je passe. (Hélas pas lu Sire Cédric mais je vais réparer ça très vite)
Crédit: BAZAR COMICS. Dessin offert à Sire Cédric.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre nouveau roman qui vient de sortir?
Dans ce dernier roman Crimes et faux semblants, le petit Henri Blum a grandi et est devenu un personnage à part entière qui donne du fil à retordre à son père.
Cette nouvelle enquête se passe dans un milieu de gangsters à la petite semaine. Les crimes se succèdent et Blum a bien du mal à démêler le vrai du faux.
Qu'est-ce que vous voudriez qu'on retienne de la lecture de vos livres?
J’aimerais que l’on ait été diverti que l’on ait l’impression d’avoir passé un bon moment avec un ami et qu’on ait envie de le retrouver.
Pourquoi choisi-t-on de lire Evelyne Judrin?
Une première fois sans doute par hasard et ensuite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut du moins je l’espère.
Que lisez-vous actuellement ?
La trilogie de Douglas Kennedy La symphonie du hasard.
Douglas Kennedy
Qu'est-ce que vous écoutez comme musique?
J’écoute de la musique classique. J’adore La callas (comme Blum) la musique symphonique, et aussi Bach, Mendelssohn, Mozart et le Jazz et le Rhythm ‘n blues.
Et voici le petit jeu. Nous ne le prenons pas comme un jugement téméraire, mais plutôt disons sympathique sur la liste de dix noms qui vont suivre.
En deux mots, qu'est-ce que vous pensez de: Amélie Nothomb, Mary Higgins Clarck, Michel Houellebecq, Guillaume Musso, Agatha Christie, Cécile Coulon, Georges Simenon, Marcel Pagnol, Virginie Despentes, Jean Cocteau.
Aie !!Ce ne sont pas mes auteurs de chevet
Nothomb j’ai aimé "Stupeur et tremblement".
Higgins Clark : trop léché pas assez d’aspérité.
Musso : jamais lu
Agatha : j’ai adoré bien sûr
Cécile Coulon ; honte à moi ; je ne connais pas
Simenon : une passion.
Pagnol : un amour d’enfance
Despentes : re honte à moi
Cocteau : sympathique mais cela remonte aux études donc très loin.
Amélié Nothomb
Crédit: Leemage/Mollona
Pour la chanson. A choix selon vos préférences. Il se peut que vous n'aimiez ni l'un ni l'autre. Mylène Farmer ou Zaz, Frank Zappa ou Jimi Hendrix, Genesis ou Pink Floyd, Gojira ou Daft Punk, Gims ou Vitaa, Georges Brassens ou Barbara.
Pour la chanson :
Brassens et Barbara les deux
Gims (parce que mon fils lui a fait des titres)
Pink floyd
Daft punk
soFLY &Nius (à droite Sofly (Raphaël Judrin)
Merci Evelyne Judrin pour votre gentillesse, votre disponibilité et votre patience. Je vous laisse conclure.
Je vous remercie à mon tour pour l’attention avec laquelle vous avez lu mes bouquins et le soin que vous avez pris à préparer cette interview qui m’a amenée à réfléchir sur ce qui me motive et ce que je veux donner à mes lecteurs. Encore merci à vous
"...il y a ceux qui me touchent parce que les sujets abordés font écho à la problématique qui m’habite depuis toujours : celle de l’appartenance."
Evelyne Judrin
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Ichigo Samuru
Evelyne Judrin
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