jeudi 17 octobre 2019

EVELYNE JUDRIN: Dès mon plus jeune âge j’ai été encouragée à lire et à écrire


"...j’ai besoin d’humour pour mettre l’horreur à distance et il  n’y en a pas forcément dans les polars que j’aime lire."

Evelyne Judrin




INTERVIEW DE L'AUTEURE EVELYNE JUDRIN

Bonjour Evelyne Judrin, merci d'avoir accepté cette interview pour Bazar Bouquins. Vous avez déjà écrit deux romans policiers et vous venez d'en sortir un nouveau dont nous parlerons plus bas. Evelyne Judrin, qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'enseigner les lettres? 

En ce qui concerne l’enseignement des lettres, si j’étais d’humeur taquine, je dirais bien que c’était la seule matière dans laquelle je me sentais comme un poisson dans l’eau. Et à l’époque quand on faisait des  études de lettres, hors l’enseignement, point de salut.

 Qui vous a donné l'envie de lire? Car vous devez lire beaucoup, je présume ? Et qui vous a donné cette passion d'écrire ?

 Alors là sans hésiter ma mère. Etant issue d’une famille d’immigrés, la langue pour elle était d’une importance capitale. Elle la maîtrisait parfaitement, dévorait des tonnes de livres et écrivait pour elle-même des poèmes. Elle avait une très belle plume. Dès mon plus jeune âge j’ai été encouragée à lire et à écrire. 



Quels sont les principaux écrivains qui vous touchent le plus et pourquoi? 

Il y a deux sortes d’écrivains : ceux dont les écrits me passionnent, généralement des auteurs de romans policiers,  qui savent suspendre le temps qui vous coupent littéralement le souffle et vous empêchent de dormir. Je n’en citerai aucun car il y en a trop.
Par contre il y a ceux qui me touchent parce que les sujets abordés font écho à la problématique qui m’habite depuis toujours : celle de l’appartenance.
Je citerai : Singer, Chaïm Potok, Aaron Appelfeld 
Mais j’adore aussi l’écriture de Lionel Duroy de Murakami, 
J’aime Douglas Kennedy pour son talent de conteur  et aussi la scandinave Audur Olafsdottir pour son style tellement épuré.
Et tant d’autres. 


Chaïm Potok 
Crédit photo:RICHARD HARRIES 

Est-ce qu'il vous arrive de lire un polar et soudain vous dire, j'aurais bien écrit ce livre?

 A la réflexion non. Je peux envier le sens du suspens, une écriture particulièrement précise et soignée, le sens du détail de tel ou tel écrivain mais en même temps, je suis incapable d’écrire autrement : j’ai besoin d’humour pour mettre l’horreur à distance et il  n’y en a pas forcément dans les polars que j’aime lire. 

Pour écrire un polar, un roman quel que soit le genre, cela demande quand même beaucoup de connaissances. Comment est-ce que vous vous documentez ?

Rien de très original : je vais sur le net, je lis des bouquins, j’interroge des hommes et des femmes de l’art (flics, pharmaciens, médecins) et surtout je prête l’oreille. Je suis une curieuse maladive.

Lorsque vous avez trouvé une idée pour un roman, est-ce que vous les enregistrez d'abord comme le fait Bloom ?

J’ai des bouts de notes partout. Des morceaux de carnets, de cahiers, des notes vocales sur mon téléphone, morceaux de papier avec quelques phrases que je n’arrive plus à déchiffrer la plupart du temps. 




Dans les deux romans que j'ai pu lire: "Il faut bien que la foudre tombe quelque part" et "Sale temps pour les concierges", vous décrivez beaucoup les lieux, le temps, le contexte... est-ce très important?

Absolument. J’ai besoin de m’immerger et de m’imaginer dans les lieux que je décris donc de les connaître parfaitement. Je me balade d’ailleurs régulièrement dans le Paris de Blum et je prends des photos pour me remémorer tel ou tel détail.

 Pourquoi êtes-vous votre propre éditrice?

Le moyen de faire autrement ? Et puis finalement ça me convient très bien pour l’instant. Je fais des rencontres que je ne ferais sans doute pas si j’étais chapeautée par un éditeur. 

Vos deux romans policiers sont très beaux et très agréables à lire. De plus les couvertures sont superbes. Tenez-vous à l'aspect du livre? Considérez-vous que la jaquette est partie intégrante du roman?

Oui absolument. J’aime le livre en tant qu’objet. La couverture doit refléter l’esprit du roman.

Qui a dessiné les couvertures? 

J’ai la chance de bien connaître Cre.o.n, l’artiste qui m’a fait l’honneur de réaliser mes couvertures. J’adore son travail entre comics et manga. Il sera d’ailleurs au COMICON de Paris fin octobre.


Cre.o.n


Concernant les titres, nous lisons dans l'histoire le titre du roman policier. Prendrez-vous chaque fois une phrase dite par le héros comme titre? 

Je vois que vous êtes un lecteur attentif. J’aime bien me donner des contraintes. Celle-là en est une mais je ne suis pas certaine d’y arriver à chaque fois.

Nous n'allons pas raconter l'histoire de chaque roman, nous allons plutôt encourager le lecteur à les acheter et les lire, ils vont passer un bon moment avec ce qui se rapproche férocement d'un thriller, en tous les cas pour le premier. Donc pas de spoilers. "Vos polars sont proches du thriller", êtes vous d'accord avec cette affirmation?

Je ne sais pas. J’ai un peu de mal à définir mon genre.  S’il y a du thriller dans  mes romans j’en suis ravie. Mais il y a aussi de la tragédie et de la comédie, enfin je pense. 

Passons à quelques personnages et ne soyez pas effrayée par mes questions, il n'y a pas de censures chez Bazar Bouquins, dans le sens qu'on aborde tous les sujets. Parlons un peu de Léon Blum. Pourquoi avez-vous choisi ce nom? 

C’est à posteriori que je me suis aperçue que j’avais raccourci le nom d’une amie et que j’avais emprunté le prénom de sa belle-fille pour mon personnage de Malika. 
Pour le prénom de Blum, Léon, je me suis dit que c’était un clin d’œil amusant

Qui vous a inspiré pour ce genre de personnage ? 

Tous les personnages de flics un peu nonchalants que j’ai pu rencontrer au cours de mes lectures : un peu de Nestor Burma sans doute et aussi l’Adamsberg de Fred Vargas.


Jean-Luc Anglad joue le commissaire Adamsberg

Va-t-il y avoir beaucoup d'aventures de Léon Blum? 

Je l’espère. Je suis en pleine écriture du prochain.

Pourquoi Blum est-il juif, fils de parents juifs socialistes? 

Je parle de ce que je connais je vous l’ai dit pour les lieux c’est idem pour les personnages. J’ai passé toute mon enfance dans le Paris populaire de Blum. J’ai côtoyé le petit peuple parisien d’ouvriers, d’artisans. Après la guerre, les gens rêvaient d’un monde meilleur. Il y a une tradition juive socialiste Le Bund, un mouvement qui a pris naissance en Europe de l’Est. J’ai sans doute baigné dans ce milieu.

16. Vous semblez connaître le judaïsme et que les athées communistes juifs sont nombreux. D'après-vous, le communisme en France est-il semblable à celui qui sévissait dans les pays de l'Est?

Je ne connais pas le judaïsme. Justement c’est la problématique de mon personnage. Il se sent juif mais il ne pratique pas et a du mal à mettre des mots sur sa judéité.
Quant au nombre de juifs athées je n’en ai aucune idée mais je pense qu’ils sont assez nombreux à être attachés aux racines. Pour ces juifs, la culture ne passe pas forcément par la religion.  Il y a le yiddish, cette langue issue du haut allemand, l’histoire (souvent tragique) certaines traditions, la littérature, les débats d’idées. 
Quant au communisme tel que je l’ai connu dans ma jeunesse, il n’avait rien à voir avec celui des pays de l’Est parce que justement  nous étions en France et qu’il n’était pas au pouvoir mais sans doute les communistes français ont-ils fait preuve d’aveuglement face au grand frère russe.  

Savez-vous que les Juifs ne disent pas le "bon Dieu"? A moins que je ne me trompe.

Aucune idée

Est-ce que vous n'appréciez pas les nobles? Je pense à Thérèse Chastaing de la Tour.

Ma Thérèse est une noble d’opérette. Je n’ai pas d’opinion sur les nobles.  

La vision négative de notre société qu'a Blum est-elle la vôtre ?

Je suis double. En même temps j’ai toujours la crainte de voir resurgir les démons du passé et en même temps je pense que l’être humain est capable du pire mais aussi du meilleur.



Vos personnages, à part les principaux, ne sont pas très sympathiques, avez-vous une vision aussi "négative" des personnes ?

Je ne suis pas d’accord. Bien sûr il y a les méchants et forcément ils ne sont pas sympathiques mais je pense à toute la tribu qui entoure Blum et ceux-là je les trouve bienveillants. 

Qui vous a inspiré le personnage de Malika? Pourquoi est-elle musulmane et tout-à-fait à l'opposé des musulmanes voilées ? 

Je vous l’ai dit, c’est la belle fille d’une de mes amies. Et mon personnage est comme les musulmanes que je connais c’est-à-dire des femmes non conformistes, des femmes libres.

Avez-vous lu le livre de Henda Ayari: "J'ai choisi d'être libre"? 

Pas encore. Vous me le conseillez ?

Oui absolument.



Le fait que Blum et Malika vivent ensemble, est-ce un message particulier que vous voudriez faire passer? 

Absolument

La même chose pour les homosexuels que nous rencontrons dans les deux polars, ainsi qu'un transformiste et une trans ?

Oui également. Le monde dans sa diversité est celui que j’aime et qu’il me plaît de faire vivre dans mes romans. 

Une question bizarre parce que "je vous tiens à ma merci", Evelyne Judrin: cela me trotte dans la tête depuis des années en lisant ou regardant des polars? Verriez-vous possible un héros catholique, marié et qui soit droit dans sa vie ? 

Je suis moi-même mariée à  un catholique droit dans sa vie. Est-ce une réponse ?

Oui, on ne peut pas répondre mieux.

Quelque chose m'a fortement surpris. Vous avez donné, à un de vos personnages, un abbé, le nom Bourreau. Pourquoi? Vous n'appréciez pas l'Eglise Catholique (rire)? Répondez en totale liberté, j'assume tout. 

En fait cet homme a existé. C’était le grand copain de mon père petit cordonnier dans le 11ème arrondissement. Je n’ai pas osé donner son vrai nom qui était encore plus incroyable que celui de Bourreau. D’ailleurs j’ai connu un monsieur Bourreau qui était un super médecin.

"Il n'y a rien de contre nature à préférer les hommes", dit, à quelque part, la maman de Julien. Est votre avis ou celle de la maman de Julien? 

Je ne crois pas que ce soit la mère de julien qui dise cela. Mais moi je pourrais le dire. D’ailleurs je le dis. Voilà !



Revenons à Blum. Léon Blum, ancien commissaire, est un homme très "intègre". Mais en tant que chroniqueur, il enjolive voir invente pour des journaux peu scrupuleux. C'est bien cela ? Est-ce que vous pensez qu'il existe deux presses, une qui dit des vérités et l'autre des menteries? 

Ce qu’on appelle la presse à scandale existe toujours.  Quant  à la presse en général, je pense qu’on peut s’informer en croisant les informations. Disons qu’il y a  sûrement une presse qui creuse davantage qu’une autre.

Vous ne cessez de nous surprendre dans vos romans policiers, passant d'un personnage à l'autre, prolongeant une scène, détaillant les personnages dans les moindres détails (sauf que j'aurais bien aimé savoir comment les deux motards étaient vêtus, car j'aime la moto. Je n'en dis pas plus sur ces deux personnages, eh eh) et ce qui m'a frappé en lisant c'est que votre récit n'est pas linéaire, mais est fait du présent, et du passé. Un passé qui, au demeurant, n'explique pas tout, et n'excuse rien, même s'il était très douloureux? (Ça va Evelyne Judrin êtes-vous encore en vie, où aurais-je commis le meurtre parfait avec ce genre de question ? (Rire) 

Nous sommes faits ainsi. Le passé ne peut pas se changer. Alors il faut l’assumer et le sublimer si possible. J’essaie de le faire en écrivant.


Question un peu marrante: Savez-vous que les bottes comme les santiags, vous êtes comme dans des pantoufles, idem pour les mexicaines au talon scié? Dans ces bottes pointues, vous n'êtes jamais mal à l'aise, il faut, pour les Mexicaines prendre la taille au-dessus. Si vous achetez des bottes western dans des magasins non spécialisés, vous avez mal au pied comme dans des chaussures pas chères.

Je note. Merci 

Il y aurait encore tellement de questions, tant vos écrits sont riches. Je ne peux franchement, vous comparer à aucun écrivain que j'ai eu le plaisir de lire, est-ce normal?

A vous de me le dire. Si tel est le cas, j’en suis très flattée.

Oui, c'est le cas.

Vous me faîtes penser, non par le style d'écriture, à Sire Cédric: le climat tendu, sombre, surtout dans le premier de vos polars. 
Qu'en pensez-vous? 

Je passe. (Hélas pas lu Sire Cédric mais je vais réparer ça très vite)

Crédit: BAZAR COMICS. Dessin offert à Sire Cédric.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre nouveau roman qui vient de sortir?

Dans ce dernier roman Crimes et faux semblants, le petit Henri Blum a grandi et est devenu un personnage à part entière qui donne du fil à retordre à son père.
Cette nouvelle enquête se passe dans un milieu de gangsters à la petite semaine. Les crimes se succèdent et Blum a bien du mal à démêler le vrai du faux. 


Qu'est-ce que vous voudriez qu'on retienne de la lecture de vos livres?

J’aimerais que l’on ait été diverti que l’on ait l’impression d’avoir passé un bon moment avec un ami et qu’on ait envie de le retrouver. 

Pourquoi choisi-t-on de lire Evelyne Judrin? 

Une première fois sans doute par hasard et ensuite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut du moins je l’espère.

Que lisez-vous actuellement ? 

La trilogie de Douglas Kennedy La symphonie du hasard. 

Douglas Kennedy

Qu'est-ce que vous écoutez comme musique? 

J’écoute de la musique classique. J’adore La callas (comme Blum) la musique symphonique, et aussi Bach, Mendelssohn, Mozart et le Jazz et le Rhythm ‘n  blues. 

Et voici le petit jeu. Nous ne le prenons pas comme un jugement téméraire, mais plutôt disons sympathique sur la liste de dix noms qui vont suivre. 
En deux mots, qu'est-ce que vous pensez de: Amélie Nothomb, Mary Higgins Clarck, Michel Houellebecq, Guillaume Musso, Agatha Christie, Cécile Coulon, Georges Simenon, Marcel Pagnol, Virginie Despentes, Jean Cocteau. 

Aie !!Ce ne sont pas mes auteurs de chevet
Nothomb j’ai aimé "Stupeur et tremblement". 
Higgins Clark : trop léché pas assez d’aspérité. 
Musso : jamais lu 
Agatha : j’ai adoré bien sûr
Cécile Coulon ; honte à moi ; je ne connais pas
Simenon : une passion. 
Pagnol : un amour d’enfance
Despentes : re honte à moi
Cocteau : sympathique mais cela remonte aux études donc très loin.

Amélié Nothomb
Crédit: Leemage/Mollona

Pour la chanson. A choix selon vos préférences. Il se peut que vous n'aimiez ni l'un ni l'autre. Mylène Farmer ou Zaz, Frank Zappa ou Jimi Hendrix, Genesis ou Pink Floyd, Gojira ou Daft Punk, Gims ou Vitaa, Georges Brassens ou Barbara.

Pour la chanson :
Brassens et Barbara les deux
Gims (parce que mon fils lui a fait des titres)
Pink floyd
Daft punk

soFLY &Nius (à droite Sofly (Raphaël Judrin)

Merci Evelyne Judrin pour votre gentillesse, votre disponibilité et votre patience. Je vous laisse conclure.

Je vous remercie à mon tour pour l’attention avec laquelle vous avez lu mes bouquins et le soin que vous avez pris à préparer cette interview qui m’a amenée à réfléchir sur ce qui me motive et ce que je veux donner à mes lecteurs. Encore merci  à vous


"...il y a ceux qui me touchent parce que les sujets abordés font écho à la problématique qui m’habite depuis toujours : celle de l’appartenance."

Evelyne Judrin

Facebook: https://www.facebook.com/evelyne.judrin/

Ichigo Samuru

mercredi 24 avril 2019

LA MÉLOPÉE DU MOJO


Le plus dur dans la rédaction d’un roman (et je suis en train de 

terminer le 4ème), c’est de le démarrer et de le finir. Un jour, un 

écrivain m’a dit « Lorsqu'on se relit, il faut être son pire 

bourreau ». 

Vincent Laurent










INTERVIEW DE VINCENT LAURENT

Bonjour Vincent Laurent. Merci d’accorder cet interview pour BAZAR BOUQUIN. Alors j’ai lu votre roman, ou plutôt j’ai dévoré votre roman « Le mélopée du mojo » quasiment d’une traite. Il est difficile de le lâcher tant l’histoire nous prend avec elle, nous surprend et nous apprend aussi tant il y a de références. Votre plume est agréable. Nous entrons dans l’histoire et nous sommes aspirés dans un tourbillon qui nous conduit avec le héros droit dans les ténèbres… peut-être en enfer…. qui sait.

En tous les cas votre roman m’a fait pensé à des histoires que je lisais dans le comics pocket « Il est minuit l’heure des sorcières » aux éditions Arédit. Ces histoires étaient terribles, c’était une édition en français de bandes dessinées de DC Comics. J’ai donc retrouvé un peu mon âme d’adolescent en vous lisant et surtout j’ai passé un moment où j’oubliais ma maladie, ce qui n’est pas rien.

Êtes-vous sensible au fait que votre roman puisse ainsi divertir un de vos lecteurs, au point qu’il en oublie pour un moment ses douleurs ?

Non, il est vrai que le processus d’écriture est particulier : on est en général seul avec ses idées et son histoire et on le reste jusqu'à la fin. Lorsque le roman est publié, c’est carrément autre chose qui démarre : je dois parler de ce que j’ai « commis », de la façon dont je l’ai fait. Lorsque j’écris, je pense évidemment aux lecteurs en essayant de leur donner l’histoire la plus agréable possible. Je n’aime pas la sensation de leur faire perdre du temps. Mais savoir qu’ils puissent oublier, comme pour vous, le tracas quotidien et la maladie le temps d’une lecture, ça vaut pour moi tous les prix littéraires du monde…

Pourquoi écrivez-vous Vincent Laurent ?

Au fil du temps, c’est devenu une nécessité. Comme faire du sport ou jouer à la console. J’ai besoin de cette stimulation intellectuelle. Et puis, en fait, j’ai toujours raconté des histoires… Dès l’âge de huit ans, je faisais des BD et m’amusait à écrire des histoires et à surprendre mes premiers lecteurs (mes frères) !


Pour qui écrivez-vous ?

Avant tout pour moi, j’écris les histoires que j’aimerai lire. A présent que je suis père de deux enfants, j’écris aussi pour leur transmettre un bout de moi qu’ils transmettront à leur tour, je l’espère, à leurs propres enfants.


Qu’est-ce qui vous a décidé d’écrire ? Quels sont les auteurs qui vous inspirent le plus ?

J’ai souvent commencé à écrire des histoires que je ne terminais pas. Je m’éparpillais beaucoup. Participer à des concours de nouvelles et être primé à plusieurs reprises m’a poussé sur la voie pour de bon. C’est comme cela que j’ai trouvé la force et le courage d’écrire mon premier roman « Au jeu du chat et de la souris » (qui a été primé à son tour en 2016 par le Lions Club).
Au niveau des romans policiers, j’apprécie énormément Michael Connelly qui est pour moi un monstre de travail et un excellent journaliste. J’aime aussi beaucoup Dennis Lehane ou Andrea Camilleri. En ce qui concerne la créativité, j’ai une grande affection pour Frédéric Dard que j’aurai apprécié rencontrer de son vivant.


Michael Connelly
Crédit: M.J. Kim/AP

C’est votre troisième roman et vous ne vivez pas encore de votre écriture, à ce que j’ai pu comprendre ?

Non, c’est exact. C’est assez difficile d’être publié, c’est encore plus difficile de vivre de son clavier. A moins d’être édité par l’une des dix grosses maisons d’édition qui trustent 95% de la place littéraire, il faut énormément de facteurs, de talents (et de chance parfois) pour faire de son roman un best-seller. Peut-être un jour cela arrivera-t-il. Tant mieux ! Sinon, ce n’est pas grave. Je ne le fais pas pour l’argent.

6. Venons-en à votre roman sans faire de spoiler. Êtes-vous satisfait du rendu final de votre roman, ou pensez-vous encore vous que vous auriez pu changer ceci ou cela ? Ou autrement posé, à quel moment vous dites-vous que ça y est l’écriture du roman est terminée, j’y ai mis toutes les références (et il y en a!) que je voulais ?

Le plus dur dans la rédaction d’un roman (et je suis en train de terminer le 4ème), c’est de le démarrer et de le finir. Un jour, un écrivain m’a dit « Lorsqu’on se relit, il faut être son pire bourreau ». Avec le temps, je suis plus sérieux dans ma relecture. Je pourrais encore modifier certains passages ou en ajouter. Mais à un moment donné, il faut savoir le poser et dire stop, sinon on n’en sort plus.
Je suis assez satisfait du rendu final de la Mélopée du Mojo. Je pense qu’il s’agit de mon roman le plus abouti.

Est-ce que l’actualité comme les gilets jaunes, vous influence lors de l’écriture d’un roman, ou va-t-elle trop vite ?

Je dirais que c’est un ensemble de choses. Les actualités peuvent m’influencer c’est sûr.


A vous lire, vous n’aimez pas trop les talk-show ? Et les films pornos (rire) ?

Ça dépend ! Mais il faut de tout pour faire un monde !

Votre héros Iago ne me parait pas très sympathique, il est même difficile de le plaindre, pourtant il est attachant et on a envie de savoir jusqu'où il va aller, sans forcément être pour lui. Cela nous met dans un drôle d’état : une sorte de « mal à l’aise ». Ne trouvez-vous pas ?

C’était le but ! Lui-même a du mal à se trouver, à cerner son identité dès le départ. Lorsqu'enfin il se voit affubler de pouvoirs et réalise à peu près tout ce qu’il désire, là encore, difficile pour lui de concilier fantasmes et réalités et de comprendre qui il est malgré tout. Je pense qu’Iago est juste un pauvre type, comme nous le sommes tous plus ou moins, qu’il essaie de se démener du mieux possible dans ce monde. Si nous étions capable de réaliser nos moindres désirs, notre côté sombre surgirait à coup sûr. Je suis certain que quel que soit l’individu propriétaire du « mojo », il finirait par s’en servir pour de mauvais desseins. C’est dans la nature humaine !

Nous trouvons beaucoup de références à la musique, à la littérature, la bande dessinée et le cinéma. Pourquoi toutes ces références ? Êtes-vous un geek ?

Non, je ne pense pas. Je m’intéresse à tous les arts. Il y a toujours une musicalité dans mes histoires et des clins d’œil à la musique ou au cinéma. Je pense que je pourrai sortir une bande originale de chacun de mes romans !

9. Vous faites aussi beaucoup allusion à la foi chrétienne (avec une petite erreur, Judas à livré Jésus aux grands prêtres juifs et non aux romains). Est-ce que la cathédrale de Reims en est l’origine ?

Lorsque j’ai décidé d’aborder la frontière entre le bien et le mal, j’en suis rapidement arrivé à la religion. J’ai aimé confronter mon personnage à la foi, à l’Eglise. A un moment donné, Iago se retrouve dans une Eglise et a un dialogue muet avec le Christ qui semble le regarder, lui, l’homme aux pouvoirs divins. A un autre moment, Iago retrouve un personnage assez hostile et qui représente plutôt le mal. J’ai trouvé ces passages intéressants et nécessaires. La cathédrale de Reims, malgré l’inspiration qu’elle me donne, n’y est pour rien.

10. L’autre héroïne de votre roman est la ville de Reims, laquelle est mise à rude épreuve. Cette ville vous donne-t-elle de l’inspiration ?

J’essaie toujours de reconstituer le cadre de mon histoire et en l’occurrence, lorsque je lis un livre, j’aime pouvoir reconnaître la ville dans laquelle les personnages évoluent. Mes précédents romans avaient pour décor Lille et Monaco. Le prochain se déroulera dans le Berlin des années trente… C’est important d’être crédible. Etant rémois d’origine (j’y ai grandi et y ai vécu jusque très tard), la Cité des Sacres m’a évidemment beaucoup inspiré. Et je souhaitais que les lecteurs puissent la reconnaître eux aussi. Ceux qui la connaissent bien auront forcément une autre lecture que le lecteur lambda, reconnaîtront certains endroits, …



Iago travaille comme informaticien, il aime sa famille et il est prêt à tout pour elle. Est-ce que je ne dis pas des bêtises le concernant ? Est-ce qu’il y a un peu de vous en Iago  ou ce personnage est-il entièrement différent de vous ?

C’est tout à fait cela. Sa famille est un peu particulière (c’est rien de le dire), mais elle ressemble probablement beaucoup à une famille classique de province. Je suis un peu comme Iago dans le sens où je suis très porté sur la famille et plutôt fidèle envers les gens que j’aime. Iago est aussi un peu un artiste (il souhaite publier une bande-dessinée). En revanche, en ce qui concerne le reste, je ne me sens pas forcément très proche de lui.

Le diable, plutôt une certaine image qu’on s’en fait, est un acteur important dans votre livre. Il est vraiment terrifiant si, comme moi, on entre dans l’histoire et que les personnages deviennent vivants sous votre plume alerte. Croyez-vous au diable ? Avez-vous eu quelques hésitations de mettre en scène le tentateur ?

Je crois au vice que chacun porte en soi et de ce qu’il peut en faire. Pour le reste, je suis plutôt agnostique. Le personnage dont vous parlez était pour moi nécessaire, car à tout pouvoir il y a un contre-pouvoir. Et lui est là pour remettre les choses à leur place. Des amis proches m’ont confié avoir été particulièrement effrayés ou, du moins, troublés, par l’apparition particulière de ce personnage et dans le cadre dans lequel il survient. Je suis vraiment content de mon effet !...


Une représentation du démon

Comme pour « Il est minuit l’heure des sorcières », nous sommes confrontés à ce qu’il y a au fond de nous-mêmes, c’est-à-dire la concupiscence qui fait que l’on convoite pour toujours vouloir plus, devenir riche puissant et célèbre, quitte à prendre des voies dangereuses. Et nous constatons, tout au long de votre livre, la désillusion que procure le fait de tout avoir sans retenue. Vous considérez-vous comme un moraliste, un donneur de leçons ? Car vous allez quand même plus loin qu’une simple histoire.

C’est une question presque philosophique et je me suis régalé à faire des expériences avec mes personnages. Je ne me sens pas moralisateur, mais j’aime imaginer ce que l’âme humaine peut avoir de meilleur ou de plus sombre au fond d’elle. J’ai la conviction que tout n’est qu’illusion ou désillusion dans la vie, sans forcément pencher dans le côté pessimiste, je suis quelqu'un de très gai. Mais c’est un fait : lorsque l’on atteint un palier, on regarde toujours s’il y en a un autre plus haut à atteindre. Et lorsqu'on l’a atteint, on continue. Il faut alimenter l’illusion, quitte à collectionner les désillusions…


Croyez-vous que la magie existe ?

Non, seule l’illusion de la magie existe.


Y aura-t-il une suite à « la mélopée du mojo ? »

Non, je ne pense pas. Mais le personnage d’Iago peut très bien apparaître brièvement dans un autre roman. Je fais souvent des clins d’œil ou des passerelles entre mes histoires.

Comme le Blog BAZAR BOUQUINS fonctionne au ralenti, je ne vais pas prolonger votre interrogatoire (rire). Cependant vous allez passer aux dernières questions obligatoires.

- Que lisez-vous ces jours comme roman ? « L’arbre des possibles » de Bernard Werber.

- Votre auteur préféré ? Michael Connelly

- Lisez-vous autre chose que des romans ? Pouvez-vous nous dire quoi ?

Je lis aussi pas mal de nouvelles ou des livres d’histoire.

- Qu’écoutez-vous comme musique principalement, celles que vous citez dans votre roman ?

Essentiellement du rock et de la pop, mais je ne suis pas contre un morceau de jazz ou d’autres choses. C’est vrai que la musique que je cite fait souvent partie de ma playlist personnelle !

- Actuellement y a-t-il une chanson qui vous trotte par la tête ?

Je viens de finir « 1984 » de George Orwell. Depuis, j’ai « Karma Police » de Radiohead qui ne me quitte plus !...


Radiohead
crédit: grammy.com

- Qu’aimez-vous ?

Ma famille, mes plus proches amis. Un bon repas (avec du champagne !)

- Qu’est-ce que vous n’aimez pas ?

L’injustice et l’irrespect.

- Voici un liste de noms que j’ai choisi un peu comme cela. Dites-nous ce que vous en pensez en deux mots.

Sebastian : mon frère : un grand artiste en devenir !

Stephen King > C’est le roi. Comme quoi le produit porte parfois la bonne étiquette !

Sire Cedric >> Talentueux, mais ce n’est pas trop ma came.

Bram Stocker >> Un grand monsieur qui a su créer un monstre littéraire !

Mary Shelley >> Une grande dame qui a su créer un monstre littéraire !

Stan Lee >> Une collection impressionnante de best-sellers !

Jack Kirby >> Une imagination débordante.

 Frank Zappa >> Je ne le connais pas bien.

Quentin Tarentino >> Un génie, tout simplement.

Jean Cocteau >> Un visionnaire.

Mylène Farmer >> On a besoin d’amour !

Question subsidiaire : Aimez-vous le chocolat ? 

 A petite dose !

Voilà cher Vincent Laurent, vous êtes libre de conclure cette interview limité, veuillez m’en excuser. Vous pouvez écrire tout ce que vous voulez. Il n’y a pas de censure chez MANA BAZAR.

Merci Patric de votre intérêt pour mon travail. La littérature, et les petits auteurs comme moi, ont besoin de personnes comme vous !





Ichigo Samuru


lundi 4 juin 2018

LE DEVIANT


Rejeter la différence
Vous ne servez qu'à cela En utilisant mal la violence Ne vous plaignez pas Traîtres, oui, traîtres Vous l'ignorez mais vous avez un maître Qui vous ordonne de lui obéir De ses ordres qui sont de me faire souffrir Depuis, je ne sais plus aimer Je ne sais que détester Ce que j'ai subi A fait de moi, le monstre que je suis Mais courez, bétail, courez Enfermés dans votre enclos qui se nomme société Et riez, bétail, riez De mes idéaux, de mes pensées Mais vous, noyés dans votre stupidité Vous ne le savez pas encore mais vous êtes piégés Vous préférez ignorer Et être enfermés dans les caprices de l'humanité Si cela est ce que vous voulez Bien, mais laissez moi seul, dans ma liberté Mais sachez qu'en dehors de vos murs de fer Vit dignement, le loup solitaire. Kuro


Le Déviant est propriété de MANABAZAR 2018. Kuro.

vendredi 22 septembre 2017

SIRE CEDRIC. Y penser encore

Chronique sur le roman de Sire Cedric, Du feu de l’enfer, 

Presse de la Cité, 2017.




On sort rarement indemne de la lecture d’un roman de Sire Cedric. Cet auteur génial, que l’on pourrait dire être l’élève de Stephen King (je vous avoue que je préfère Sire Cedric à Stephen King, eh oui!) nous propose toujours des histoires d’une telle intensité, d’une telle profondeur, avec des personnages vrais et si proches de nous, que je vous l’assure, à la fin du roman, vous dites : « Encore. »

« Encore », car vous avez appris à aimer les personnages principaux et secondaires. Vous avez aussi appris à craindre les « méchants » qui sont finalement des hommes et des femmes qui ont de sérieux problèmes psychologiques.

Je ne vais pas faire de spoiler, vous lirez l’interview du maître ci-dessous, où nous en révélons déjà assez pour vous donner envie de vous procurer fissa ce livre : Du Feu de l’Enfer



Ce dont j’aimerai vous parler un peu c’est de Sire Cedric, de ses livres. Car il en a écrit déjà un certain nombre. Exactement six thrillers et trois romans fantastiques. C’est le troisième que je lis. Pas une seule fois je n’ai été déçu, croyez-moi. Cependant ces ouvrages ne sont pas à mettre dans les mains de trop jeunes lecteurs. Car les livres de Sire Cedric font peurs, et certaines scène sont « malsaines ».

« Malsaines » mais indispensables pour comprendre. Ici dans le Feu de l’Enfer, les descriptions affreuses, immorales, reflètent une triste réalité. Et nous amène à nous positionner quand même. A savoir si nous pourrions nous laisser entraîner dans la secte que Manon et son frère Ariel vont devoir affronter. Dans quel camp sommes-nous ? Et y a-t-il seulement deux camps ? Pourquoi ce mal ? Pourquoi ce courage de finalement aller jusqu'au bout ? Et est-ce que une victoire est possible contre des forces qui nous dépassent ?

Sire Cedric nous tiraille, nous pousse à lire et réfléchir. Oui nous nous divertissons à lire Sire Cedric. Mais un roman aussi fort, ne peut être lu et mis de côté comme un roman à l’eau de rose qui raconte la même histoire pour la millième fois. Chaque livre de Sire Cedric est une nouvelle aventure humaine.



Aventure qui va au fond de notre âme dénicher la noirceur qui peut exister et qui se cache bien. Il suffit qu’un événement arrive pour que cette noirceur revienne à la surface. Alors bien entendu Du Feu de l’Enfer est une fiction, il ne s’agit pas d’une leçon de morale, mais quand même. Sire Cedric nous pose certaines questions.

C’est pour cela que j’ai voulu lui poser aussi des questions. Dans cet interview, j’ai essayé d’approfondir, de donner au maître mes impressions, à savoir si elles étaient justes ou fausses. Vous aussi, j’espère que vous aimerez ce livre, «  une histoire affreuse » (pour citer Sire Cedric), qui va loin quand même dans ce que l’homme est capable de faire. Il suffit d’un masque pour que l’interdit disparaisse, pour que les plus bas instincts s’éveillent.

Sire Cedric, mes amis, est un auteur de génie. Nous devons le soutenir. Il est impensable qu’il ne soit pas distribué partout. Vraiment lorsque nous cherchons un livre puissant, intense, qui ne nous lâche pas du début à la fin (s’il y a une fin!?) il faut lire un roman de Sire Cédric car on est forcé d’y penser encore.



Y penser encore : Bram Stocker m’avait fait cet effet. Et pourtant on s’ennuie un peu dans Dracula. Stephen King aussi nous laisse ce goût, cette déception de quitter les personnages, de se dire, mais qu’arrivera-t-il ensuite, on y pense encore… Si je me suis ennuyé un peu chez Stocker, cela est impossible chez celui qui est le maître des « histoires affreuses ». Maître que nous allons maintenant laisser s’exprimer pour notre plus grande joie.




Interview de Sire Cedric

 Bonjour Sire Cedric. Votre look interpelle. Je le trouve très classe, j’aime beaucoup. Reflète-t-il vraiment ce que vous êtes dans la vie et en tant qu’écrivain ?

Je vous remercie pour le compliment ! Cela étant dit, je suis écrivain, en effet, et ce sont donc mes livres qui comptent. Mon métier consiste à inventer des histoires passionnantes. Surtout pas de me mettre en avant, moi. Ce serait un autre genre de littérature, que je ne pratique pas. Dans notre monde où tout le monde cherche à jouer un personnage, je ne souhaite au contraire pas en être un. Je préfère les inventer.

Pourquoi écrivez-vous ? Précisément pourquoi écrivez-vous des « histoires affreuses » (pour vous citer) ?

Parce que j’aime les histoires qui font peur. À la folie. Elles accompagnent ma vie depuis mon enfance, que ce soit au travers des romans, des films, des séries télévisées. Je les aime tellement que je me suis pris au jeu d’en inventer moi-même, et c’est finalement devenu mon métier. Ce que je fais est simple, en définitive : j’écris pour divertir les lecteurs. Pour leur faire vivre des émotions fortes et qu’ils en redemandent. C’est un travail difficile, mais passionnant. Et quand j’y arrive, quand les lecteurs se prennent au jeu et passent un bon moment dans mes histoires, je suis aux anges.




Votre style d’écriture ne nous laisse pas un moment de répit, le savez-vous ?

C’est ma technique pour empêcher le lecteur de fermer le livre. Chaque chapitre doit faire avancer l’histoire, apporter des surprises ou renouveler l’intérêt. Je m’interdis de faire baisser la tension jusqu'à la conclusion. Moi-même, en tant que lecteur, j’abandonne de trop nombreux romans en cours de lecture car je m’y ennuie, je ne suis pas accroché. Je veux que les miens soient capables d’aspirer le lecteur dès la première ligne, qu’ils ne laissent ressortir de l’aventure qu’une fois celle-ci achevée.

Où allez-vous chercher toutes ces « histoires affreuses » Sire Cedric ?

J’ai une imagination fertile. Mais je dois avouer que l’actualité me donne sans cesse de nouvelles pistes à explorer ! Par exemple, le contenu de mon tout nouveau roman, Du feu de l’enfer, est composé à 90% de faits divers. Je n’ai eu qu’à inventer des personnages que j’aimais, que je voulais suivre, et les placer au cœur du mystère. Quasiment toutes les scènes du roman ne sont, en fin de compte, que des anecdotes réelles mises bout à bout, comme des pièces de puzzle révélées l’une après l’autre. La réalité est souvent bien plus terrifiante que tout ce qu’on peut imaginer.

Personnellement lorsque je lis un roman je suis happé par l’histoire, les personnages deviennent réels. Est-ce votre cas lorsque vous écrivez leurs aventures ?

Les personnages sont inventés de toutes pièces, bien sûr. Mais le but du jeu est de leur donner de la profondeur. Si je suis assez fin dans mes dialogues, dans la mise en scène de leurs réactions, alors ces personnages se mettent à vivre pour de bon. Et les lecteurs vont se sentir touchés par ce qui leur arrive. C’est la magie de la littérature. Réussir, par la fiction, à évoquer des souvenirs au lecteur. À lui faire oublier qu’il est en train de regarder des taches noires sur du papier et qu’il s’imagine avoir en face de lui de vraies personnes. Des gens qu’il peut avoir envie d’aider ou de gifler, mais de vraies personnes.




Aimez-vous vos personnages, jusqu'au méchant ?

Il le faut, sinon les méchants ne sont pas crédibles. En écrivant Du feu de l’enfer, je me suis attaché à mes « mauvais » personnages autant qu’à mes héros. J’aime la folie de ces tueurs, leur profonde méchanceté, ce lien malsain qu’ils nourrissent, chacun l’un vis-à-vis de l’autre, et qui n’est qu’une manifestation criante de leurs faiblesses et névroses personnelles. Car chacun des personnages, bon ou mauvais, est avant tout un être humain.

Comment se fait-il que vous semblez aimer, dans les romans que j’ai pu lire de vous, qu’une femme soit l’héroïne principale ?

Je n’y ai jamais réfléchi, pour dire la vérité. Mais il est vrai que j’aime les personnages de jeunes femmes étouffées par leur quotidien, qui ont besoin de prendre confiance en elles. Je les plonge dans des aventures horribles pour les forcer à trouver cette force qui leur manque, pour qu’elles deviennent elles-mêmes et brisent leurs chaînes. Voir leur évolution m’emplit de bonheur.

Il est remarquable que vos, disons, héros restent très humains, je veux dire par là qu’ils pourraient être n’importe qui, n’est-ce pas ?

C’est l’idée. Tout spécialement dans mes derniers romans. Je choisis des personnes ordinaires, à qui on peut s’identifier, et je les place face à un danger terrible, d’une puissance qui les dépasse forcément. Plus le contraste est fort, plus le personnage est faible par rapport à la menace qui s’abat sur lui, et plus le lecteur va se sentir concerné, et donc immergé dans l’histoire.

Les méchants par contre (aux surnoms maléfiques qui m’ont fait penser, outre évidemment au satanisme, mais aussi à des groupes de Black Metal, nous parlerons musique plus tard), ont des capacités quand même particulières. Sans être des surhommes, ils ne sont pas communs. C’est voulu ?

Ils sont perçus comme ça car c’est précisément ainsi qu’ils veulent être perçus ! Cela les rend d’autant plus terrifiants. C’est pour cela, par exemple, qu’ils portent des masques. Il n’y a rien de plus effrayant, pour moi, qu’un masque. Un autre visage qui cache celui de l’humain. Symboliquement, c’est très fort. Dans le roman, ces personnes prennent également des surnoms pour incarner leur personnage. Cela leur donne encore plus de puissance, d’envergure, ils ont transcendé leur humanité pour laisser jaillir leur bête intérieure. Mais au final, sous le masque, ils demeurent des êtres humains ordinaires. Leur donner cet anonymat, et également cette multiplicité (comme les démons dans la Bible, donc) m’a permis de renforcer la sensation de paranoïa des personnages pris dans les filets de cette secte.


Exemple de secte en bande dessinée. 

Il semble que vous aimez jouer avec la faiblesse et la force, et que le fort n’est pas celui que l’on pense finalement ?

Il est important d’emmener les lecteurs sur des fausses pistes. C’est un contrat tacite entre l’auteur et le lecteur, et cela fait partie du plaisir de la lecture. On s’imagine des choses, on se doute de là où veut en venir l’auteur… et puis finalement on se rend compte qu’on a été manipulé, qu’on n’a rien vu venir, et la satisfaction n’est que plus intense. Ici encore, ce qui est essentiel dans une histoire, c’est le parcours de chaque personnage. Ce n’est pas toujours celui qui semble le plus fort au début qui l’est vraiment, et inversement ! Un roman est une manière de regarder sous le masque de chaque personnage et de comprendre qui il est, où il va, et comment il évolue.

Une chose remarquable dans vos romans, c’est qu’aucun des personnages ne se ressemble. Par exemple : Manon n’est pas Eva Svärta. Qu’en pensez-vous ?

En termes de psychologie, Manon Virgo et Eva Svärta sont en effet aux antipodes l’une de l’autre. Manon est quelqu'un de très – trop – effacé alors qu'Eva se comporte comme un homme. De la même manière, logiquement, Manon n’a pas de vie sexuelle alors qu'Eva assume ses appétits sans retenue. On peut dire que Manon est la fille la plus ordinaire qui soit, finalement, alors qu'Eva, quant à elle, est quasiment un personnage de bande dessinée, que ce soit dans son apparence particulière comme dans son comportement, son aspect « increvable » qui la rapproche des stéréotypes de super-héros. Pour Du feu de l’enfer, en revanche, je tenais à mettre en scène une jeune femme réelle. Quelqu'un qu’on ait l’impression de déjà connaître, ou au moins d’avoir croisée. Quelqu'un qu’on ait envie de protéger.


Et Sire Cedric, n'est-il pas un peu un personnage de Comics? (Crédit photo: BAZAR COMICS)

Le choix du titre du roman Du feu de l’Enfer, titre tiré de la citation d’une chanson de Marduk que nous trouvons tout à la fin, n’est pas simplement un titre : cela va plus loin, est-ce exact ?

J’aime encadrer mes romans de citations, cela me semble donner un supplément de sens, une couleur supplémentaire aux histoires. Quand j’ai eu l’idée du roman, et que je pensais à évoquer les Hellfire Clubs anglais, la musique ultra violente et ultra malsaine de ce groupe suédois m’est tout de suite venue en tête, et j’ai souri en pensant au titre de ce morceau en particulier : Of Hells Fire. J’ai su que le titre de mon histoire en serait la traduction littérale en français, Du feu de l’enfer, avant d’écrire la première ligne, et il était évident pour moi qu’une citation de ce morceau figurerait en conclusion. Comme un grésillement, la persistance d’une flamme vive brillant au fond des yeux…


MARDUK
Photo: https://burningambulance.com/2012/06/13/marduk/

J’ai été frappé par la citation de saint Marc (Mc 5,9). Savez-vous qu’elle est sortie de son contexte et que pour bien la comprendre, il faut la situer dans son contexte immédiat et dans celui de l’Évangile, voir même de la Révélation ? d’ailleurs ce que dit Légion et ce qui lui arrive sont très instructifs. (Je ne peux pas développer ce sujet ici, pourtant cela serait intéressant d’en parler en relation avec votre roman). Pourquoi cette citation ?


Je l’ai choisie aussi tout aussi simplement, et pour la même raison, que celle de fermeture du roman. J’avais mon titre, j’avais mon sujet, et avant de commencer à écrire voilà que cette citation bien connue m’a frappée. Je ne souhaitais pas l’interpréter au sens littéral, comme W.P. Blatty a pu le faire à la fin de son roman L’exorciste par exemple, mais plutôt évoquer une menace de nature multiple et grouillante. J’avais envie d’explorer le mal caché dans l’être humain. Cette citation me semblait parfaite pour donner le ton et le sujet du roman et, en quelque sorte, déjà conditionner le lecteur à ce qu’il allait vivre.

REGAN dans le film L'EXORCISTE


La citation de Marduk me semble être la vraie conclusion du roman, qui correspond à un changement. Changement progressif que nous voyons chez Manon, ai-je raison ?

Un changement progressif et invisible, oui. Cette citation évoque quelque chose de noir sous la surface. Notre plus grande force, parfois, n’est pas puisée dans la zone lumineuse de notre âme. Même si nous le regrettons, que nous en avons honte parfois, cette noirceur fait aussi partie de nous, et de notre évolution en tant qu’être humain.

Vous semblez avoir étudié la psychologie humaine me semble-t-il ?

Tous les auteurs le font. Je crois que toutes les bonnes histoires ne parlent que de ça : l’être humain, son âme, ses questions essentielles. Qui nous sommes. Pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Ce que l’on fait pour évoluer, pour ne pas se laisser broyer par un monde hostile. Les personnages sont au centre du Feu de l’enfer. J’ai écrit ce livre pour parler de Manon et de son frère avant tout. À ma manière, peut-être que j’effectue ma thérapie, de livre en livre !

Vous vous documentez pour écrire. Comment recevez-vous les résultats de ces recherches pleines de, disons, surprises ? Et comment vivez-vous cela ?

Les recherches constituent une partie importante et passionnante de mon travail. Elles sont indispensables pour la crédibilité de l’histoire. Et puis elles m’apportent un formidable plaisir personnel. Pour prendre un exemple parmi d’autres, je me suis documenté sur la thanatopraxie, que je voulais évoquer le plus sobrement et le plus dignement possible dans ce roman. C’est pendant ces longues discussions avec des thanatos que j’ai découvert que, contrairement à ce que j’imaginais (naïvement) il n’y a presque jamais d’autopsie pour les suicides : les thanatos embaument chaque semaine des adolescents qui se sont pendus ou ouvert les veines, des vieillards qui se sont fait sauter la tête avec leur fusil, et ainsi de suite… sans que jamais personne ne questionne les faits, que jamais aucune autopsie ne soit demandée. Je fais ces recherches par curiosité avant tout, cela assouvit mes envies de découvertes d’autres métiers, d’autres vies. Une toute petite partie de ce que j’ai appris se retrouve dans le livre fini, mais je profite toujours de ce supplément de découvertes pour grandir, personnellement. Cela rend ma vie plus vaste, plus intéressante.

Votre vision des autorités de notre pays est assez mitigée, est-ce le résultat de votre enquête ?

Je ne dirais pas ça. La police fonctionne comme elle le peut. Elle est seulement constituée d’êtres humains ordinaires. Chacun essaie de bien faire, mais chacun a sa façon bien à lui d’aborder la réalité, selon son propre point de vue, ses habitudes, ses convictions. Dans le roman, les flics ne sont pas foncièrement mauvais. Il y a simplement de nombreux qui pro quo qui ralentissent la résolution de certaines affaires. Je m’efforce de ne pas raconter des faits en blanc et noir. Les zones de gris sont beaucoup plus intéressantes, me semble-t-il. Dans la vie, chaque personne réagit de manière tellement différente ! Pour prendre un exemple parlant, j’ai fait lire à deux policiers différents la scène où j’évoque que des flics obtiendraient des faveurs sexuelles de mineures toxicomanes. Un de ces deux policiers m’a informé que oui, cela arrive exactement comme ça et que tout le monde ferme les yeux, alors que l’autre (qui travaille dans une ville différente, cela a sans doute son importance) a explosé en me disant que s’il apprenait quelque chose comme ça, il irait défoncer la gueule à ces collègues avant de les dénoncer. Précieux pour prendre du recul sur certaines situations…


Une équipe de policiers efficace, la série PROFILAGE SAISON 8

Vous avez donc conscience que cette « histoire affreuse » n’est pas loin de la vérité ?

Le roman est de la pure fiction, j’insiste sur ce point. Mais, comme je le disais, tout ce qui est évoqué en toile de fond, chaque anecdote ou fait divers, est… malheureusement bien réel, oui.

Le fait d’avoir cité un tueur en série connu, est-ce pour nous attirer l’attention sur l’existence de telles sectes ?

De fait, j’ai essayé de citer le moins de noms possible, ce n’est pas un roman à clé et je ne tiens surtout pas à faire passer le moindre message. Simplement divertir. Il n’y a rien de plus flippant que de se dire « cela pourrait arriver. Cela arrive peut-être en ce moment même… » Mais forcément, de temps à autre, je ne pouvais faire autrement que de citer un nom ou une ville…

Votre roman Du feu de l’enfer est, à mon humble avis, musical, comme une sorte de comédie musicale à la Rocky Horror Picture Show, est-ce que je suis à côté de la plaque ?

Ce que je peux dire, c’est que, tout comme ce film en particulier, Du feu de l’enfer appartient à un genre. J’aime prendre les codes et jouer avec eux, les réinterpréter à ma manière, leur donner un sens nouveau. La musique et les clins d’œil à la fois musicaux et mythologiques peuplent les pages du roman. Cela n’en fait pas une comédie musicale non plus. (Rires.) Plutôt un « slasher », avec beaucoup de recul sur les conventions du genre.


Quelques personnages de "slasher" connus

Un certain nombre de groupes sont nommés dans votre ce roman flippant. Est-ce que le choix des chansons est mûrement réfléchi, pour cadrer avec ce qui se passe dans l’histoire ?

L’essentiel des groupes nommés sont la musique qu’écoute Manon dans sa voiture. Son métier lui impose des kilomètres à parcourir chaque jour, et elle meuble ces temps de route en écoutant des groupes comme Portishead ou Chelsea Wolfe. Citer ce qu’elle écoute, et évoquer ce qu’elle ressent en l’écoutant, était important pour définir le personnage. C’est bien connu, la musique qu’on écoute est révélatrice de notre personnalité. Et dans un roman, souvent, de ce qui se passe dans le cœur du personnage…



CHELSEA WOLFE
Crédit photo: Elodion

Est-ce que ce sont des groupes que vous écoutez régulièrement ?

Pas forcément, ce n’est pas mon genre de prédilection, mais en toute objectivité Manon a très bon goût en matière de musique ! J’ai mis un point d’honneur à ne lui faire aimer que ce qui se fait de mieux dans ces genres musicaux précis.

Pouvez-vous nous dire ce que vous aimez comme musiciens ou autres groupes, voir même d’autres styles musicaux ?

Personnellement, j’écoute plutôt du rock et du metal. Je suis de la vieille école, celle des Judas Priest et Ronnie James Dio (que je vénère). Mais je suis également un grand amateur de musique plus massive et agressive, telle que celle de Marduk, Behemoth, Belphegor


BEHEMOTH
Crédit photo: fot. oficjalna strona zespołu

Est-ce que la musique a une place importante dans votre vie ? Écrivez-vous en écoutant de la musique ?

 J’écoute de la musique en permanence. Quand j’écris, cela m’aide à trouver un rythme, une couleur… ou même des idées amusantes ! Si le mot de passe de l’un des personnages du roman est LOVE IS ALL, ce n’est bien sûr pas par hasard… Ou si les masques des membres de ma secte évoquent ceux des goules du groupe de rock Ghost, ce n’est pas non plus une coïncidence, c’était plus fort que moi !


GHOST

Lisez-vous beaucoup, Sire Cedric ?

Autant que possible, oui. Les livres sont une passion. J’ai toujours un ou deux romans en cours, que ce soit en version papier sur ma table de chevet, sur ma tablette en numérique ou même version audio car j’aime la course à pied et j’en profite pour lire avec les oreilles.

Qui est pour vous l’écrivain incontournable ?

Stephen King, sans le moindre doute. C’est une évidence et un cliché de le citer, mais cet homme a inventé le métier que je fais. Il m’a également donné envie d’être écrivain moi-même, alors que j’étais adolescent.
STEPHEN KING

Sire Cedric, je vous laisse conclure cet interview, vous pouvez dire ce que vous voulez.


Je vous remercie, et je salue les lectrices et lecteurs qui passeront par ici ! J’espère qu’ils auront envie de découvrir mes histoires et qu’elles les divertiront ! Les dates de mes prochaines dédicaces sont indiquées sur mon site officiel, il ne faut surtout pas hésiter à venir me voir pour discuter !



Mais c’est nous qui vous remercions Sire Cedric , pour votre gentillesse et votre patience qui nous permettent de vous connaître et nous éclaire dans le lecture de votre superbe roman « Du feu de l’enfer », et d’y penser encore…

Liens:





Photos: Site officiel et Facebook Sire Cedric

Un petit cadeau pour Sire Cédric:



Ichigo Samuru


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